Hilarantes Morues, parfaites pour la plage

« Les Morues » de Titiou Lecoq végétaient sur une étagère depuis quelques mois. Une copine me l’avait glissé entre deux pavés et un classique. Les Morues La couverture peu engageante me rappelait les pires graphiques de « chick-lit » ou de littérature étiquettée « filles ». J’avais pourtant remarqué ce premier roman à sa sortie et les critiques élogieuses qui l’accompagnaient. Je connaissais aussi Titiou Lecoq via son -déjà très drôle- blog girlsandgeeks J’ai ouvert le bouquin, quatre jours après, je l’avais terminé.

Le livre s’ouvre sur une soirée de « la bande ». Tous les ans, ils commémorent la mort de Kurt Cobain, le leader de Nirvana, suicidé au printemps 1994. « Moi, je voudrais juste vous dire que s’il nous voyait maintenant, une bande de trentenaires parvenus qui se souviennent du grunge une fois par an, il se tirerait une deuxième balle. »
Puis, on se retrouve à un enterrement. Non pas celui de l’icône du grunge mais celui de Charlotte, l’une des filles de la bande qui s’est suicidée, ancienne meilleure amie d’Ema, l’héroine du bouquin et « morue » en chef.
Ema, profession journaliste, trentenaire, un peu tordue voire franchement tarée selon certains dont l’ambition principale est de parvenir à être normale « A ses yeux, le gigot d’agneau représentait le stade ultime de la normalité. Je gigote donc je suis. »

A plus court-terme, elle veut terminer la charte des Morues, un texte féministe qu’elle rédige avec deux copines, Gabrielle et Alice.
« Pour les Morues,il paraissait évident que les réflexes sexistes dont on accusait les hommes, c’était d’abord chez les femmes qu’il fallait les traquer.[…] Mais, il était foutument plus difficile, car honteux, de se reconnaitre un comportement de femme soumise que de balancer aux hommes qu’ils étaient des machos en puissance. »
Loin des grandes déclarations de leurs prédécesseurs, leur manifeste est donc un mode d’emploi au quotidien qui prétend aider à vivre sans violer les principes féministes. Comment être en couple sans s’aliéner? Comment draguer cash sans avoir l’impression d’être un morceau de viande qu’on reluque? Comment cuisiner pour son mec sans renier Beauvoir ? J’adore ces passages sur la charte, c’est extrêmement drôle.

En dehors des Morues, Ema est hantée par la mort de sa copine. Elle ne croit pas au suicide. C’est plus fort qu’elle, Ema commence à chercher ce qui cloche. Elle découvre que Charlotte travaillait sur des dossiers sensibles au sein de son cabinet de consultants. En sa qualité de journaliste normalement constituée et de fille borderline, elle ébauche une théorie du complot. L’auteur raconte cette enquête, parfois crédible, parfois délirante. Le livre se fait polar jusqu’à son dénouement final, inattendu.

Titiou LecoqTitiou Lecoq parle de l’époque et de sa génération : de la crise de la trentaine, de l’amour, de musique, de mecs, de sexe (beaucoup et on se marre), du pouvoir (flippant) des réseaux sociaux, de la pression au boulot, de la France du XXIe siècle et même de la RGPP (de son vrai nom, la très glam « révision générale des politiques publiques »). « Les Morues » est un livre générationnel. On a beau lutter, l' »effet miroir » comme à la télé, fonctionne à plein tube. On se reconnait et on adore ça!

Petite aparté : chaque chapitre se termine par une « bande-son », trois titres de chansons dans l’humeur des pages. L’idée est super mais cela aurait été mieux en début de chapitre. Le graal eut été un ebook avec illustration sonore. Un objet techniquement réalisable aujourd’hui (regardez ce que fait, par exemple, Hybrid’book) mais dont le coût serait plombé par les droits d’auteurs des musiciens.

*A lire après ou avant avoir regardé « Summer of the 90’s » sur Arte

*A lire en écoutant le meilleur album de Nirvana : « MTV unplugged in New York »

*Les Morues de Titiou Lecoq, Le livre de Poche, 2013